Très très belle lecture. Matt Wagner est à l'écriture et aux dessins et il réalise un formidable travail. De mon point de vu, Batman et les Monstres (je n'ai pas encore lu le Moine Fou) peut se lire après Year One, et juste avant Un Long Halloween et Amère Victoire. L'ensemble forme un tout cohérent tant au niveau de l'ambiance graphique, qu'au niveau de la caractérisation de Batman et de l'univers dans lequel il évolue.
Pourquoi un tel enthousiasme de ma part ? Déjà, l’intrigue y est bien ficelée, et on sent que du débit à la fin Matt Wagner maitrise son sujet. Sa grande force est qu’il prend le temps de s'intéresser à ses personnages et à leurs motivations. Le scénariste prend le parti de raconter l’histoire dans une veine assez réaliste, à l’image de Frank Miller sur Year One, tout en la teintant peu à peu d'un zeste de fantastique. C’est l’occasion pour Batman de prendre plus d’envergure, en passant d'un combat plutot terre-à-terre contre la pègre et ses gangsters, à des combats plus extraordinaires et à sa mesure contre des "monstres" tout droit sortis d'un freak show. Le mariage entre film noir et film de monstre est donc réussi pour le scénariste-dessinateur.
S’agissant du personnage de Batman lui-même dans cette mini-série, il est encore dans une phase où il continue de se construire et de s’affirmer. Ainsi il est encore relativement inconnu des policiers et des habitants de Gotham au début de l'histoire. Isolé du reste de la société, son alter-égo Bruce Wayne peut néanmoins compter sur son fidèle majordome, Alfred, et une jeune femme dont il s’est entiché, la jeune et brillante Julie Madison, héritière d'un riche homme d'affaire qui va finir par croiser la route du chevalier noir.
Dans ce récit, le chevalier noir est en pleine possession de ses moyens, tant physiques qu'intellectuels. D'un coté, il parvient à combattre plusieurs adversaires armés en meme temps, où encore à tenir tete à des créatures à la force surhumaine grace à sa ruse, sa force et ses nombreux gadgets toujours crédibles. De l'autre, Batman est aussi capable de se faire plus discret, d’interroger et faire parler les suspects afin de résoudre ses enquetes. Son role de justicier et de détective s'affirme donc, et Gordon n'hésite pas à le laisser observer une scène de crime avant meme la police scientifique.
Il fait face pour cette occasion à sa première véritable Némésis, Hugo Strange, scientifique de génie à l'esprit malsain. C'est un personnage à mi-chemin entre les gangsters réalistes qui peuplent sa route au début de ses aventures (il reste en apparence un homme “normal”) et les méchants plus fantasques qui pilulleront à Gotham par la suite (ses actions en font un psychopathe). La folie de Strange le conduit à modifier des hommes pour les faire ressembler à son idéal du surhomme, soit des créatures gigantesques, dégénérées et cannibales. Les motivations de Strange sont clairement posées par Matt Wagner, qui prend le temps de bien caractériser son vilain. Ce dernier est en effet décrit par le scénariste américain comme très intelligent, déterminé et athlétique. Mais il est aussi petit, ce qu’il considère être du à une tare génétique. Les tares génétiques, ces "nuisances" qui empêche l’homme d’atteindre la perfection selon le professeur. Il y'a clairement dans ce personnage un coté scientifique nazi cherchant, grace aux manipulations du génome humain, à créer le surhomme et ce en ne reculant devant rien: s’allier à un gangster comme Maroni par exemple, ou encore "acheter" des pensionnaires de l'asile d'Arkham pour en faire ses cobayes. Le scénariste prend aussi le soin d'introduire à la fin de son histoire le récit paru précédemment, mais qui se déroule chronologiquement après, La proie d’Hugo Strange. La boucle est bouclée.
Sur la partie graphique du titre, la encore c’est dû très bon. Il y’a bien sur une fidélité aux traits de David Mazzucchelli, ce qui n’empêche pas le tout d’avoir sa personnalité propre. C’est beau du début à la fin, et je pense sincèrement que les dessins contribuent grandement à la réussite du titre. Batman y est iconisé comme rarement, dans des postures divers et variées. Les affrontements, rares mais toujours justifiés, sont superbement mis en case et le découpage offre une lisibilité épatante. Les dessins de Wagner contribuent à poser cet ambiance de film noir, et il sait adapter son style pour offrir des moments très spectaculaires, sans que cela ne détonne. S’agissant des couleurs, j’ai constaté une dominante du rouge/marron/jaune, qui m’a beaucoup fait pensé à la photographie du film Batman Begins: j’ai beaucoup aimé.
En conclusion, je dirai que nous sommes face à un incontournable, et je conseille la lecture de ce relié en parallèle de celui de Batman - La nuit des Monstres. Urban Comics a très bien fait de publier ces deux tomes en même temps, tant ils sont en tout point dissemblables, mais aussi complémentaires: dans l’un, le récit se veut sobre avec un personnage solitaire, pas encore totalement bien affirmé; tandis que dans l’autre, le spectaculaire est mis en avant, Batman y est entouré de sa “famille” et ses gadgets sont plus fantaisistes les uns que les autres. Mais ils sont aussi complémentaires car représentatifs des différentes aventures que vit le personnage depuis maintenant une dizaine d’années, c’est-à-dire des récits très spectaculaires où plus intimes. J’ai une préférence pour Batman et les Monstres, qui regroupe les éléments et l’ambiance que j’aime le plus sur ce personnage, ce qui ne m’empêche bien sur pas d’apprécier l’autre.