à Terre
J.M Straczynski - Chris Roberson - Eddy Barrows
Si l'intention de départ est bonne, le résultat final est très moyen.
Le récit nous ramène à d'anciennes histoires, comme "Superman est-il nécessaire ?"* (Superman N°247 - Janvier 1972), un récit intelligent qui a influencé bon nombre de scénaristes postérieurs de l'univers de l'Homme d'Acier, comme par exemple Joe Kelly, auteur de "What's so Funny about Truth, Justice and the American Way ?"* (Action Comics N°775 - Mars 2001).
En gros, il s'agit de se demander si la présence de Superman n'est pas un frein à l'évolution des Hommes. Dans Superman à Terre, on part néanmoins, cette fois-ci, d'un principe inverse. Superman s'est éloigné de l'Humanité et de ses préoccupations sociales. La question qui nous vient à l'esprit en parcourant cet album, c'est "y a-t-il un juste milieu ?"
En leur venant constamment en aide, Kal-El rend-il l'Humanité dépendante de lui et incapable de s'adapter aux nouveaux défis qui l'attendent ?
Et d'ailleurs, la rencontre avec la femme, qui va motiver la décision de Superman, illustre bien cette crainte. Le mari de cette femme était atteint d'un cancer, une tumeur au cerveau. Elle reproche à Superman de ne pas l'avoir sauvé, de ne pas avoir été là pour les terriens. Comme si son devoir était de soigner toute la misère du monde. Aussi absurde et disproportionnée que puisse paraître la colère de cette femme (et c'est le cas), elle illustre parfaitement le fait que les Hommes considèrent Superman comme une divinité, comme un faiseur de miracles sur lequel tous les espoirs se reposent, phagocytant toute perspective d'évolution, d'adaptation de l'Humanité.
Cependant, et nous allons le voir, on s'éloigne assez vite de l'intrigue à la base de l'histoire.
Parce que peu à peu se dégage une atmosphère ultra-patriotique de certains chapitres (essentiellement vers la fin), qui peuvent donner l'impression d'assister à certaines propagandes de la seconde guerre mondiale. Sourires ultra-brite, têtes levées vers le ciel, drapeau américain flottant au loin...
On s'éloigne tout-à-coup du principe de départ de l'histoire. Est-ce dû au fait que Straczynski a quitté le projet en route (tout en continuant à le superviser), qui est ensuite tombé entre les mains de Chris Roberson à partir du sixième chapitre ? Je n'en sais rien, mais trop de patriotisme tue le patriotisme...
Je comprends pourquoi on préfère traduire "Truth, Justice and American Way" par "Vérité, Justice et Valeurs Humaines". La vache ! Les valeurs américaines, comme si le désir de liberté et de bonheur était né avec les Etats-Unis, comme si les autres pays prônaient le mal, la dictature et la misère...
Je préfère largement le terme "valeurs humaines", parce que dans les valeurs américaines, il y a aussi le droit de chaque citoyen à porter une arme à feu, et la peine de mort. Et franchement, je vois mal Superman se battre pour ces droits.
En-dehors de cela, il faut quand même souligner certains bons chapitres (quand même), comme celui où Superman rencontre une famille d'exilés extra-terrestres, déguisés en humains, ou aussi lorsqu'il nettoie un quartier tenu par des gangsters (visiblement peu effrayés par l'Homme d'Acier, qu'ils considèrent comme un flic). Le chapitre dans lequel il discute avec Batman sur ce qui les séparent des êtres ordinaires est aussi très intéressant, et aurait mérité d'être plus développé. Enfin, les parties où il s'en prend à un père qui bat son fils, ou a un harceleur, nous ramènent aux débuts de carrière de Superman, ce qui était d'ailleurs visiblement l'intention de départ de cette histoire qui, encore une fois, s'en éloigne dans sa seconde partie.
On peut aussi reprocher à l'histoire une symbolique qui manque quelque peu de subtilité : Dans quasiment chaque chapitre, on peut voir dans la foule un personnage avec un maillot arborant le symbole de Batman (la chauve-souris noire), alors que Superman est en pleine dépression, se sentant rejeté de tous. Arrivé au chapitre 10, moment de l'épiphanie pour Superman, alors représenté pour la première fois en Clark Kent dans l'histoire, de qui lui vient cette soudaine réponse à toutes ses questions ? Un mec fan de Superman, qui porte un pull avec les couleurs et le symbole de Superman !
Subtil, n'est-il pas ?
Le plus gros défaut de Superman à Terre tient dans son format même. Douze chapitres pour raconter ce que Elliot S! Maggin et Curt Swan avaient si bien expliqué en un seul chapitre de 17 pages !
Bref, l'histoire est diluée, on sent beaucoup de remplissage, ce qui n'aide pas à apprécier la lecture.
Si Straczynski était resté aux commandes de l'histoire, aurait-ce été différent ?
Toujours est-il que le résultat est une déception.
* Pour les curieux, je vous recommande l'Anthologie de Superman, parue chez Urban Comics, dans laquelle figurent justement ces deux excellentes histoires !)