[UC : Vertigo Classique] Scalped

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Hellblazer
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Re: [UC : Vertigo Classique] Scalped

Message par Hellblazer »

Bon. Allons-y pour tenter d'être plus court que d'habitude.

Quand Urban a commencé ses rééditions en intégrales, côté DC ou Vertigo, celle-ci a pointé le bout de son museau en même temps que d'autres comme "Fables" ou "100 Bullets". Il a fallut faire des choix, donc bon, j'ai passé mon chemin. Mais récemment, avec le déconfinement, ma boulimie d'achat a pris le dessus et m'a encouragé à prendre l'intégrale d'un seul coup.

J'ai étalé la lecture des deux premiers tomes sur une semaine et demi environ, puis enchaîné les trois derniers hier soir.

Et bien, c'était fort sympathique. Enfin, "sympathique" n'est pas vraiment le terme, un peu trop glauque, violent et sombre pour ça. Mais c'est un très bon polar noir. La patte graphique de R. M. Guéra fait ressortir à merveille l'ambiance poisseuse et lourde, ne faisant pas dans le détail, de la réserve de Prairie Rose. Un nom à l'ironie doucereuse quand on voit le désespoir et la violence qui s'y déroulent constamment.

"Scalped" nous plonge dans une réserve lakota où la vie est dure. Un des états les plus pauvres du monde, au sein de l'un des pays les plus riches du monde. Petite terre oubliée, et fictive, comme il y en a des tas au sein du vaste territoire US. Cicatrice des endroits que l'on a crée pour parquer les restes des nombreuses nations amérindiennes, et les laisser mourir à petit feu dans leur coin. Ce qu'elles font avec plus ou moins de vivacité depuis plus d'un siècle maintenant.

Le nihilisme sauvage qui imprègne les lieux est probablement forcé, la misère et le crime englobant à peu près tous les habitants, par choix ou par envie, l'un et l'autre se mêlant et se démêlant aisément. J'ose espérer que la vie est un peu moins sombre dans les réserves existantes... mais j'ai de gros doutes.

Nous y suivrons Dashiell Bad Horse, un trentenaire ex-militaire et agent du FBI sous couverture né dans cette réserve, et obligé d'y retourner une derrière fois pour sa mission. Son chef au bureau ? véreux. Celui qu'il doit infiltrer ? véreux. Ses collègues de la police tribale ? véreux. Tout, partout, que ça. À peu près tout le monde est pourri ici, même si la plupart ont des raisons, souvent compréhensibles, qui seront détaillées au fil des tomes. La plupart des personnages sont des enfoirés, pas vraiment des gens avec qui l'on aimerait passer du temps. Et développer leur passé ne va pas les rendre réellement attachants. Mais on pourra comprendre leurs motivations. Ou pas, parfois, d'ailleurs.

Et durant les quelques mois que va durer l'intrigue, ceux-ci évolueront sensiblement. Empirant, s'améliorant, changeant cycliquement au fil des événements, pour le meilleur ou pour le pire. Les circonstances et les feux croisés vont dresser le tableau des destins entremêlés de la galerie de personnages dans ce monde de violence.

L'ensemble exsude une violence sourde. Qu'elle se fasse à coup d'armes à feu, de lame, de drogues, d'argent, de pression, de poings, de menaces et d'abus, à coup de lois restrictives et de police laxiste, à coup de casino et de fatalités. Les personnages que l'on découvre au premier tome seront à peu près tous ceux qui peupleront la série. Et la plupart du temps, il aura été difficile de prévoir comment tous ceux-ci finiront.

La fin elle-même m'a pas mal fait pensé aux ultimes épisodes de "Breaking Bad". Même quand la rédemption est proche, même quand certains veulent se racheter, il est parfois trop tard. Ne reste qu'à décider que faire, alors ? Faire du bien une dernière fois ? S'enfoncer dans son erreur ? Se laisser guider par les pulsions, ou par les grandes idées ?

Cette opposition entre les protagonistes guidés par la volonté de faire le bien autour d'eux, même par des moyens ouvertement nocifs, ou de réaliser leurs buts personnels par vengeance ou par amour, se retrouve tout au long de la série. Sans prendre le parti-pris freudien de la pulsion sexuelle au centre des destinées et actions humaines, on ne peut tout de même que constater l'omniprésence de la pulsion primaire, de sexe, de violence, de passion, de haine, au sein des actes des personnages. Et beaucoup devront se confronter à cela, à la fin : pourquoi ont-ils agi ? Était-ce pour le bien commun ? Pour apporter de l'argent à la réserve et à son peuple, malgré les magouilles ? Ou n'était-ce, au fond, que par et pour soi, pour des histoires traînées depuis des décennies ? Les réponses seront multiples et sujettes à interprétation. Les personnages, comme l'humain, ne sont pas unilatéraux.

Puisque je l'évoque plus haut, la série utilisera beaucoup de flashbacks. Beaucoup de scènes issues de décennies dans le passé, pour nous situer les personnages, leurs buts, le pourquoi de leurs actes. Et les pièces composant ces divers puzzles se mettront d'elles-même en place au fur et à mesure, alors que chacun reconstruira les bouts inconnus des éléments ayant présidés à leurs vies. Les indices sont généralement là, mais l'auteur prend le temps d'étaler la trame pour développer ses personnages en laissant les conclusions venir quand elles en auront besoin.

Par exemple, le 5ème et dernier tome s'ouvre par un chapitre sur un couple de personnes âgées et la difficulté de leur vie isolée de tous, dans la réserve, en autarcie. La douleur, lorsqu'ils doivent aller en ville lorsque le fruit de leur labeur dans la terre ne suffit à subvenir à leurs besoins. Les rappels d'à quel point ces espaces du monde sont oubliés, avec les couloirs aériens probablement légalement flous, la pollution des sols et des eaux qui ne pose problème à personne, etc. Et ceci n'est qu'une bouffée d'air frais au milieu de toutes les autres pour nous poser un peu au milieu des événements.

En résumé :

C'est sombre, poisseux, chaud comme le sang qui coule et imprègne la terre. Les histoires croisées des personnages sont plus importantes et plus intéressantes que les enquêtes elles-mêmes. On se prend à suivre des personnages à la moralité souvent sombre et aux passions nocives. Même si peu d'entre eux sont positifs ou attachants, on suit la misère de leurs existences en plongeant la fange et en parcourant la réserve de Prairie Rose, ce quasi-huis clos perdu au milieu de l'immensité des terres du Dakota du Sud.

Vraiment une bonne découverte. Du Vertigo sombre et lourd à souhait. Dur par moment, souvent même, mais malgré tout jamais gratuit. Monde de merde, quoi. Même quand on a été balancé dedans sans le vouloir, tout cela reste un monde de merde.

Mais je ressors de cette lecture très positif, il ne faut pas croire ! =D
Rien n'est plus beau et pathétique qu'une voiture sur le toit, les roues tournant encore, inertie lancée à perte et extinction. Plénitude du geste qui se perd, dans lequel tout s'achève. Reflet d'un monde où l'on se meut à vide, où l'on n'avance à rien.
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Resendes
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Re: [UC : Vertigo Classique] Scalped

Message par Resendes »

Ne t'inquiète pas, je pense que même si tu confirme que le run est violent et sombre (je confirme et j'ai trouvé ça bien traité du peu que j'ai lu) je pense qu'en te lisant il n'est pas possible de penser autrement que "tu as apprécié ta lecture" :D

Merci pour ce retour cela me donnerais presque envie de continuer ^^
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Hellblazer
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Re: [UC : Vertigo Classique] Scalped

Message par Hellblazer »

Je t'en prie, toujours un plaisir d'en tartiner des tonnes =p

Tu avais lu jusqu'où, à peu près ? =)

Après, quand je suis allé dans ma nouvelle petite librairie BD/comics/manga pour me lancer dans cette série, un client qui y était en même temps m'a conforté dans mon choix (alors que globalement, je suis juste dans une vibe amérindienne, c'est la raison principale de mon choix sur le coup, hahah) et m'a surtout conseillé de lire assez rapidement l'intégralité de la série. Et je plussoie totalement son conseil, maintenant que je l'ai terminée.

Avec la galerie de personnages, et l'écriture qui fait énormément de sauts dans le temps, dans le passé proche ou plus lointain, sans que ce ne soit forcément suivi ou utile sur le coup, avant de raccrocher au présent, ça peut être compliqué à suivre autrement. Compliqué de se rappeler tous les personnages, leurs histoires, leurs relations et les situations qu'ils ont trouvées sur leur route.

Donc tout ça pour dire que si tu comptes réellement t'y remettre (et même si ce n'est pas le cas, merci d'avoir commenté =p ), je te conseillerais d'essayer de tout prendre, et de tout lire en assez peu de temps. Pas forcément d'une traite, ça peut être difficile ou ennuyeux, mais en quelques semaines peut-être pour que tout reste bien frais.
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